Ecorchée vive et tiraillée par l’amour, elle attend l’heure de sa revanche. En attendant, elle se donne, se reprend, se redonne… poussant jusqu’au bout la confession. Ce jeu passionnel de l’amour et de la mort est mis en scène par Michel Jabre et interprété par le duo Carole Semaha et Joe Kodeih : un moment d’émotion livré sans retenue… Au jeu de l’amour et de la mort Michel Jabre signe ici une 4ème œuvre de mise en scène sur les planches libanaises, après Bernarda Alba en 1995, Al Mouhajir également en 1995 et
Aachikat Allah en 1996. Un travail qui, dans son ensemble, est marqué par l’influence de l’école Stanislavski. Cette méthode de formation, aujourd’hui mondialement adoptée par les plus grands instituts de théâtre, insiste principalement sur le vécu intérieur de l’acteur, et veut que l’action de ce dernier ne soit que la suite logique ou le prolongement de sa pensée. Un travail d’intériorisation intense qui demande à l’acteur de travailler ses émotions exactement comme elles sont vécues dans la vie réelle. Il s’agit de vivre sur scène l’instant dramatique jusqu’au bout. Formé lui-même à l’école russe, Michel Jabre obtient une maitrise en arts de la scène de l’Université d’Arts Dramatiques de Moscou. Il continue aujourd’hui dans cette voie, et c’est dans ces termes qu’il communique cette technique à ses élèves. Professeur à l’IESAV, il dirige parallèlement un atelier de formation d’acteurs destiné aux amateurs. Universalité de la nature humaine Dans la mise en scène de « Hiya fi ghiyab el hob wal mot », toutes les contradictions de la nature humaine sont mises en avant. Les protagonistes ne sont pas sans nous rappeler les personnages des drames tchékhoviens…, profondément vrais et humains, nous renvoyant toujours à notre propre nature. Nina, une jeune actrice à la carrière prometteuse, est en proie à une passion sans lendemain, qu’elle voue à Georges son seul et unique amour. Amoureuse jusqu’à la moelle, elle lui donne tout ce qu’elle a : sa jeunesse, sa carrière, un mari, sa maison, sa réussite, sa vie… pour accepter de vivre dans son ombre, étouffée, bafouant sa dignité et son amour-propre… et n’obtenir en échange que trahisons, lâchetés et promesses sans lendemain. Profitant d’elle et de son innocence, Georges choisit d’exploiter son histoire et sa personnalité dans le scenario d’un film qu’il est sur le point de réaliser, et dont il lui promet le rôle principal. Mais il finit par confier ce rôle à l’une de ses maitresses de passage, et relègue Nina au second plan dans un rôle de énième catégorie… Carole Semaha campe avec une sincérité et une émotion troublante le rôle de Nina, personnage entier assumant toute la dualité d’une femme à la fois blasée, désillusionnée en amour et déçue de la vie, mais qui ne peut s’empêcher de laisser éclater un tempérament éperdument amoureux, et passionné… Un tour de force qu’elle réussit d’autant plus qu’elle tient la scène pendant toute la première partie, confiant au public son histoire de manière attachante, alternant le rire et les pleurs, les chants et les cris, les moments de retenue et les moments d’éclats. Ça tangue fort sur ces sentiments déchaînés… La passion flirte avec la haine, l’amour avec la revanche, l’ambition avec la soumission et la grandeur avec l’avilissement… Et, en attendant que ça chavire, la mort est là qui guette… Dans la deuxième partie Joe Kodeih entre en scène sous les traits de Georges. Commence alors une confrontation hasardeuse où chacun des personnages tente d’échapper à l’autre. Nina, résolument décidée à faire vivre à Georges un enfer, le force à revivre son propre rôle tel qu’écrit dans sa pièce, tout en se réservant le privilège de décider elle-même de la fin tragique. Menacé, et pris d’une peur inavouée, Georges tente de fuir la situation. L’ambiguïté s’installe à la frontière du mensonge et de la vérité… confondant la fiction et la réalité, les vrais sentiments et la comédie. L’intimité de la salle et la simplicité des éléments mis en scène jouent eux aussi en faveur d’une ambiance ou l’on se sent proche des personnages au double niveau physique et émotionnel. Ici, le drame est simplement humain, et on se plait à assister au spectacle de notre propre nature… Maya TRAD.