16 Jun
16Jun

 L’instant jusqu’au bout           Elle, en l’absence de l’amour et de la mort de Radzinsky, pièce mise en scène et traduite par Michel Jabre, éclate sous les feux de l’expressionnisme russe. Survol d’un huis-clos, d’un face-à-face où se meuvent des personnages révoltés, déchirés, torturés par les affres de la passion. Une pièce dure, profonde, qui choque et prend au ventre.           Sur fond d’amertume, plus qu’un monologue de femme torturée par les tréfonds de son cœur, c’est un duel amoureux qui prend place sur les planches du théâtre Monot. Dans ce drame, les épées du langage, de l’émotion, de l’indifférence, de la mort et de l’amour s’entrechoquent à qui mieux mieux. Deux êtres, Nina et Georges, se détruisent, s’anéantissent à coup d’amour inassouvi. Et pourtant, malgré les ravages de leurs sentiments, ils ne peuvent vivre l’un sans l’autre, sans cette passion qui les démange, sans cette haine qui les dévore, sans la souffrance qui les démantèle. La boucle est bouclée, le cercle se referme, vicieux, destructeur, mais pourtant tellement purificateur après l’âpre bataille. Eros et Thanatos ne font plus qu’un : tels des amants captifs de leurs sentiments, ils basculent, s’enlacent et se perdent dans la démesure… D’ailleurs, l’amour avec un grand A, n’est-ce pas s’aimer passionnément, à la folie et pas du tout. Cela, Nina et Georges l’ont compris. Saint Augustin aussi, quand il écrit « La mesure de l’amour, c’est d’aimer sans mesure ». Ainsi, pourquoi vouloir à tout prix se leurrer ? Aimer vraiment, profondément, c’est plus souvent rencontrer la souffrance que le bonheur. Moments volés, moments partagés. Et, loin, beaucoup plus loin que cette souffrance, au-delà de cette mort ambiguë à souhait, symbolisée dans la pièce par un pistolet, le salut se rapproche, s’immisçant au gré des salves amoureuses. Malheureusement, il n’assouvira ni l’envie d’amour, ni celle de mort qui se battent en Nina. Force, fragilité, indifférence, séduction. Autant de sentiments contradictoires qui se meuvent et évoluent en Nina, Georges et… chacun de nous. Moments d’émotions fortes, tellement slaves, et si proches de celles éprouvées par les personnages de La Mouette de Tchekov. Et c’est ainsi qu’en scientifique averti, Razindsky travaille cette argile malléable, cette lave sordide mais ardente qu’est la nature humaine.           Dans ce drame, l’autre, c’est aussi la vie, le prétexte pour ces deux êtres à jouer, s’ébattre sur la scène de l’existence, dissimuler leur fragilité sous le masque de l’indifférence ou de la séduction. Comédiens en puissance, funambules inconscients, ils se rejoignent sur les fils de la vie créatrice. Dans le rôle de Nina, l’actrice fétiche de Michel Jabre, Carole Samaha transcende la scène de main de maître, et porte le texte à son paroxysme. Telle une lady Mac Beth. Nina aime jusqu’au bout, sans s’éparpiller. Et surmontant ses peurs, forte de ses expériences passées, elle aime sans retenue. Un rôle d’envergure que Carole Samaha campe avec vigueur, violence et force, entraînant ainsi le spectateur au cœur de lui-même : nos angoisses, nos désirs, nos envies et nos peurs les plus profonds, les plus intimes, naissent, jaillissent et meurent telles des vagues s’évanouissant au contact du sable… Infime bonheur, éternels souvenirs. Et puis, il y a Georges, joué avec tellement de naturel par Joe Kodeih. Il s’éparpille, se donne à tous, et arbore autant de masques qu’il existe de situations. Face à Nina, il s’escrime à n’être qu’indifférence. Mais, subitement, elle l’entraînera sur les sentiers de la transparence, d’une mise à nu sans concession.           Touché par cette pièce d’acteurs où l’amour, la passion, la mort et la haine sont rois, Michel Jabre l’a traduite pour nous dire qu’ « en amour, il faut vivre l’instant jusqu’au bout, car l’amour est un acte créatif pour lequel il faut s’investir ».           Elle, en l’absence de l’amour et de la mort n’est autre qu’un face-à-face ravageur dont on ne se remet pas. La mise en scène épurée exalte au mieux des personnages aux multiples facettes. Une pièce, mais surtout un enchantement qui perturbe, dérange, subjugue ou éreinte. Une chose est certaine, plus qu’un huis-clos, on assiste à une mise à nu de notre moi. Introspection, remise en question permanente… ? Cette pièce ne laisse pas indifférent.         


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